Rassemblant plus de 300 participants à Bordeaux les 1er et 2 juillet derniers, la 7ème édition des Journées Erasmus+ de l’Enseignement supérieur (JEES) a souligné l’importance stratégique des mobilités Erasmus+ dans un contexte de crises géopolitiques et de tensions budgétaires. Lors des tables rondes et des ateliers qui ont rythmé ces deux journées, les intervenants et les participants se sont exprimés sur la valorisation des compétences acquises en mobilité, l’importance des alliances européennes et les premiers jalons du diplôme européen.
« La science et la connaissance n’ont pas de frontières. Mais pour qu’elles se transforment en projet politique, il faut une volonté », a déclaré Sylvie Retailleau, ancienne ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en ouverture des Journées Erasmus+ de l’Enseignement supérieur 2025. À l’heure des pressions budgétaires et d’une crise démocratique en Europe, l’ex-ministre a présenté le programme Erasmus+ comme un outil de cohésion : « Face à l’urgence des crises contemporaines, des guerres à nos frontières et de la montée des extrémismes, il est plus que jamais impératif que l’Union européenne affirme son unité. Et Erasmus+ a cette capacité étonnante à faire consensus. »
Alors que s’ouvrent les négociations pour le prochain cadre budgétaire 2028-2034, Sylvie Retailleau a évoqué la tribune du Cercle Erasmus+ dans laquelle un engagement fort de la part des institutions européennes a été demandé. Un souhait partagé par Nelly Fesseau, directrice de l’Agence Erasmus+ France / Education Formation, qui a rappelé que la hausse de 80 % du budget Erasmus+ pour la période 2021-2027 a permis de lancer de nouvelles dynamiques, notamment pour les mobilités hors UE (+ 5 000 mobilités en 2023), et de faire rayonner l’Union européenne à travers le monde. « Notre responsabilité collective est de convaincre l’UE de poursuivre cet investissement pour la période 2028-2034 », a insisté la directrice.
Depuis 1987, plus de 16 millions de personnes ont bénéficié du programme Erasmus+ dans le monde. En France, la barre des deux millions de bénéficiaires a été franchie en juin 2025. Face à une demande croissante, les financements restent toutefois insuffisants et seuls 57 % des projets de mobilité sont financés.
Sylvie Retailleau a rappelé qu’Erasmus+ contribue à la structuration de l’espace européen de l’enseignement supérieur telle qu’initiée par le processus de Bologne il y a 25 ans : « Erasmus+ est un outil phare porté par plusieurs objectifs : harmoniser les standards académiques, construire la confiance entre établissements et valoriser la diversité des pratiques pédagogiques ». Pour l’ancienne ministre, il constitue « l’un des piliers de notre souveraineté » et les initiatives qu’il finance, à l’instar des Universités européennes, accroissent l’attractivité et la compétitivité de l’enseignement supérieur européen. Ces alliances participent, selon elle, « à l’élaboration de réponses coordonnées aux enjeux contemporains, tels que la santé globale, l’intelligence artificielle ou encore l’environnement et la durabilité ».
Pour Donatienne Hissard, directrice générale de Campus France, le programme Erasmus+ est aussi un argument pour l’attractivité de l’enseignement supérieur français plus spécifiquement. Elle a d’ailleurs souligné « le leadership des établissements français dans la coordination de masters Erasmus Mundus et leur forte implication au sein des Universités européennes ». La directrice générale a également insisté sur les opportunités d’accès qu’ouvre le programme aux étudiants étrangers, rappelant qu’en France « 35 % des étudiants entrants bénéficient d’Erasmus+ ».
Fanny Lacroix-Desmazes, policy officer au sein de l’unité « enseignement supérieur », à la direction générale « éducation, jeunesse, sport et culture » de la Commission européenne, a évoqué l’Union des compétences. Ce plan européen répond aux difficultés de recrutement rencontrées par « certains secteurs en tension, tels que les sciences et l’informatique ». Visant à « renforcer les compétences des citoyens, faciliter la mobilité professionnelle en Europe et attirer les talents », il s’appuie notamment sur des actions Erasmus+, telles que les centres d’excellence professionnelle et les Universités européennes.
L’ensemble des participants s’est donc accordé sur le rôle essentiel des Universités européennes dans l’attractivité de l’enseignement supérieur européen et la compétitivité de l’UE. Mais ces coopérations butent encore sur l’absence d’un cadre adapté. Ludovic Thilly, vice-président de l’Université européenne EC2U et co-coordinateur du réseau FOREU4ALL, a regretté que « le statut juridique de ces alliances n’existe pas » et plaide pour une reconnaissance accrue. Olivier Ginez, directeur général de l’Enseignement supérieur et de l’Insertion professionnelle au ministère de lʼEnseignement supérieur et de la Recherche, estime que le diplôme européen est une des pistes à explorer pour renforcer les Universités européennes : « Le ferment des alliances européennes aurait pu être le diplôme européen : pour partager des valeurs communes, il faut partager un diplôme ». S’il reconnaît que le diplôme européen est « encore loin de portée », il plaide pour « une expérimentation », également appelée par Sylvie Retailleau : « Il faut l’expérimenter sur certains diplômes, notamment d’ingénieurs », a-t-elle suggéré.
Des avancées concrètes sont en cours du côté de la Commission européenne a expliqué Fanny Lacroix-Desmazes. En 2024, une feuille de route a été établie, devant aboutir d’ici 2029 à un véritable diplôme européen. La policy officer a rappelé qu’un appel à projets pilotes avait été ouvert en 2022 pour expérimenter le label « diplôme européen », avant de dévoiler qu’une première étape dans sa mise en œuvre arrivera dès mi-2026, avec les labels européens préparatoires. Ces labels seront attribués aux programmes de formation qui délivrent des diplômes communs répondant aux critères européens.
En attendant l’arrivée du diplôme européen, des intervenants ont présenté, lors de l’atelier « Mobilités et Universités européennes », des alliances qui délivrent déjà des diplômes conjoints : EU-Conexus qui réunit neuf universités autour de la thématique du littoral urbain durable intelligent ; EC2U qui regroupe dix universités et propose une offre commune de masters sur la santé tout au long de la vie ou les villes durables ; UNIVERSEH qui est coordonnée par l’Université de Toulouse et rassemble de nombreuses disciplines autour du spatial (ingénierie, droit, sociologie, commerce…). Ces alliances, qui favorisent une offre conjointe de formations, rendent la mobilité accessible à de nouveaux publics, comme les doctorants.
Les tables rondes « Identifier les compétences acquises en mobilité : comment les repérer, comment les nommer ? » et « Reconnaître et valoriser les compétences acquises en mobilité : quels enjeux, quels outils ? »ont mis l’accent sur les compétences acquises en mobilité. L’ensemble des intervenants a soutenu l’importance de les identifier et de les mettre en avant. Les outils Europass, comme le supplément au diplôme et la plateforme, permettent de rendre visibles les compétences développées, qu’elles soient académiques ou transversales. « Le supplément au diplôme, c’est une grille de lecture, un outil de valorisation mais aussi de rayonnement de l’établissement », a estimé Valida Mechri, responsable du développement et des projets internationaux au sein du groupe IGENSIA Éducation. Bien qu’obligatoire, la délivrance du supplément au diplôme reste malheureusement encore trop rare.
Créé en 2004, le dispositif Europass vise à favoriser la transparence et la compréhension des compétences au sein de l’UE. En plus des outils supplément au diplôme, supplément au certificat et Europass mobilité, Europass s’appuie sur une plateforme multi-services qui permet de délivrer des titres certifiés numériques ou de créer un CV dans l’une des 31 langues européennes. Le CV Europass est lisible et compréhensible par les recruteurs de 34 pays d’Europe : « Europass prolonge le processus de Bologne : il rend les compétences valides partout en Europe », a résumé Laurent Lascrou, ingénieur de promotion « Europass et Euroguidance » au sein de l’Agence Erasmus+ France / Education Formation.
Pour accompagner les étudiants à traduire leur expérience de mobilité en compétences, Danuta Rzewuski, enseignante d’économie et co-animatrice du réseau d’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale (RED) a partagé les pratiques d’établissements d’enseignement agricole. Ces derniers proposent des ateliers de gestion émotionnelle qui permettent aux étudiants de conscientiser leurs compétences au cours d’activités ludiques et créatives. Sabri Ben Rommane, chargé de projets chez Erasmus Student Network (ESN), a présenté Erasmus Careers, une plateforme qui permet aux étudiants d’évaluer leurs compétences d’engagement citoyen et de responsabilité sociale tout au long de leur mobilité. Grâce à des questionnaires, ils peuvent apprécier facilement leur progression selon cinq niveaux d’expertise : « Notre outil a été créé pour permettre aux étudiants de comprendre comment identifier les compétences. Il permet aussi de s’évaluer de façon honnête » a exposé Sabri Ben Rommane. Mikael Guegan, directeur des relations internationales à Bretagne INP, a évoqué le référentiel de compétences sur lequel il travaille. En plus de permettre, au retour de mobilité, de dresser un bilan des compétences acquises lors des activités réalisées, le référentiel servira, en amont des mobilités, à orienter les étudiants vers les activités les plus pertinentes selon les compétences qu’ils visent.
L’un des ateliers a également mis en lumière les mobilités Erasmus+ des personnels. Malgré un fort potentiel, la France reste en retrait par rapport à d’autres pays européens : en 2022, on comptait 3 995 mobilités de personnels, loin derrière les 10 000 qu’a enregistré la Pologne. En cause : un manque de connaissance du programme en France, des freins logistiques ou linguistiques. Des dispositifs innovants comme le projet REALISE porté par l’Université Paul Valéry Montpellier-3 ou IMPACT impliquant l’Université de Strasbourg visent à lever ces obstacles via un meilleur accompagnement, des appels à candidatures, et une reconnaissance des mobilités dans les parcours professionnels. « On est passés de 19 à 70 mobilités de formation par an : ça prend ! », s’enthousiasme Sandra Rebel, responsable du pôle mobilité internationale à l’Université de Strasbourg. Bénédicte Mahé, responsable des relations internationales aux Beaux-Arts de Paris, l’a confirmé : l’accompagnement individuel, mais aussi les mobilités courtes (2 jours) sont les clés pour mobiliser davantage les personnels.
> Lire le témoignage de Bénédicte Mahé
Qu’elle soit au profit d’étudiants ou de personnels, la mobilité internationale incarne « une expérience unique d’ouverture et de coopération », a souligné Nelly Fesseau. C’est pourquoi, dans les prochains mois, il sera crucial que la voix des universités, des étudiants et des acteurs d’Erasmus+ réussisse à convaincre les décideurs européens de continuer à soutenir ce programme emblématique de l’UE, qui fêtera ses 40 ans en 2027.
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